« Faire revenir les fantômes » – Alison Flora
Le paganisme a laissé des traces perceptibles dans les cultures populaires
Pyrénéennes. Durant des siècles, le moindre fait sortant des normes de la vie quotidienne s’interprétait comme un signe du ciel ou du diable, selon les croyances à chasser tantôt la maladie, les orages ou les mauvaises récoltes. Nos ancêtres vivaient dans un autre monde ou l’invisible pouvait agir sur le quotidien.
Du panthéon pyrénéen ne subsistent plus en effet que ces diables, esprits, fées, feux follets, géants, loups-garous, croque-mitaine, chasseurs maudits et créatures de cauchemar qui n’ont de cesse de surprendre les vivants pour les terroriser. Autant d’être mythique dérivant des divinités secondaires datant d’avant le christianisme et qui ont fini par se folkloriser dans les multiples contes et légendes de la tradition populaire.
Les dernières manifestations de l’antique paganisme des montagnes se sont incarnées dans la sorcellerie, avec ces plantes magiques ses invocations secrètes, révélant de la poésie qui a enchanté le monde durant des millénaires.
Faire revenir les fantômes, c’est invoquer aujourd’hui ces génies disparus ou cachés, attendant peut-être d’exister à nouveau pour le meilleur comme pour le pire.
C’est procéder la magie des campagnes, invoquer des traumatismes personnels et collectifs du passé et du présent, c’est conjurer des peurs d’enfants et celles à venir et enfin, c’est aussi fantasmer des mondes jamais connus, comme un voyage dans le temps, au travers de folklores et de la fantaisie.
autour de l'exposition
« Faire revenir les fantômes » agit comme une capsule temporelle qui contient de par ses symboles tout le poids d’un passé prêt à être oublié. On y retrouve une figure connue comme le loup-garou, ainsi que d’autres plus obscures comme la Pessadilla ou le Follet.
Pénétrer dans cette exposition, c’est être transporté dans les Pyrénées plusieurs siècles auparavant et appréhender la place réservée aux croyances dans la vie de nos ancêtres.
Pour Alison Flora cette nécessité de mémoire est d’autant plus grande qu’il y a aujourd’hui un nouvel essor de la spiritualité, comme le retour d’un fantôme expulsé par le rationalisme et les sciences. Ici l’ensemble des pièces agit comme des offrandes pour rendre hommage ou pour chasser les esprits. On assiste à une rencontre, à la croisée des mondes entre le visible et l’invisible.
« L’autel de l’épine » qui siège au centre de l’exposition nous confronte à l’esthétique des lieux de culte. Des éléments de la mythologie chrétienne comme les épines qui entrent en résonnance avec des éléments païens ou la clé comme passage entre les mondes. Le rouge des bougies et leurs coulures évoquent le sang et les éventuels sacrifices qui s’y relient. La Galerie du Philosophe devient un lieu de questionnement du lien entre paganisme et religion. Bien plus, elle met à nu les rapports qu’ont entretenus ces croyances et rend visible les liens qui les unissent.
Hors des querelles historiques c’est surtout la nécessité de croire et d’expliquer pour surmonter l’inconnu et ses contradictions qui anime Alison Flora. Cet inconnu il se dévoile au rythme des contes et récits pour revenir à leur chair croyante, le sang qui nous anime, et qui caractérise le travail d’Alison Flora comme catharsis. L’explication de ces phénomènes devient ici l’incarnation et l’écho de ses traumatismes et de ses angoisses. Ils sont mis à distance pour écrire une histoire et devenir un conte lointain réservé maintenant à l’enfance.
Dans cette atmosphère c’est un exorcisme artistique qui nous est donné à voir afin de trouver dans le passé les réponses à un avenir incertain. Le sang qui coule dans les veines de l’artiste et qui est déposé sur ses toiles, porte tout le poids des générations passées, sorte d’incarnation physique de cet héritage culturel qui se dissipe dans le monde actuel sous les traits de spectres et de légendes. Comprendre l’essence des traditions et de leur usage contemporain nécessite l’analyse de ce passé et de l’invisible qui l’a suscité.
Et ceci encore plus dans un milieu rural où les histoires de nos aïeux résonnent encore entre les montagnes. Que ce soit pour les nouveaux arrivants, ou pour ceux qui y résident depuis des siècles, porter un éclairage sur ces mondes qui tendent à disparaître c’est permettre aux populations de comprendre leur histoire commune, et à terme de pouvoir mieux communiquer avec les fantômes qui pourraient les hanter.
Ecrit par Théo Bourin-Monnier
à propos de l'artiste
Diplômée de l’école supérieure d’art des Pyrénées (2017), Alison Flora vit et travaille à Toulouse. Artiste pluridisciplinaire, elle explore l’expression d’un enfer contemporain (stress, anxiété sociale, traumatisme…) dans une pratique du dessin obsessionnelle et cathartique. Il en résulte un univers où mysticisme, médiévalisme, fantaisie et folie se mélangent et où le dessin est un espace unique d’expiation. Alison Flora peint avec son propre sang, récolté par intraveineuse, c’est un “sang-âme” plus proche de son esprit que le sang menstruel. Interrogeant le simulacre de violence, de résistance et l’acte de magie, la peinture de sang peut montrer ce qui est entendu dans la maxime memento-mori, rappelez-vous que vous mourrez.
Le sang est intrinsèquement ambivalent. Il a joué et continue de jouer un rôle fondamental dans toutes les civilisations. Le sang souille et purifie, il est masculin et féminin, pompeux ou funeste, bénéfique ou dangereux, et le répandre peut être un crime ou un acte sacré. Le sang porte en lui une force émotionnelle instinctive. En cela, peindre avec du sang humain, mais surtout son propre sang apporte un sentiment d’hyper proximité dans l’acte même de peindre. Le travail d’Alison Flora a été remarqué lors du 66ème Salon de Montrouge (2022) et elle est lauréate du prix Mezzanine Sud aux Abattoirs de Toulouse la même année. En 2023, elle participe à la grande exposition collective “Immortelle, Vitalité de la jeune peinture figurative française” au M.O.C.O. – La Panacée (Montpellier) et elle est présentée comme une dix dessinateurs les plus régénérant de 2023 par le Magazine Beaux-Arts. Au printemps 2023, elle propose “États d’âme” dans l’espace Le Salon de DS Galerie.
Exposition du 21 avril au 9 juin
Ouvert du mercredi au dimanche, de 14h à 18h
Vernissage le 20 avril à 18h